Aides COVID et dividendes : la fin des interdictions approche

29.10.2025

Government And Regulatory Affairs

Aides COVID et dividendes : la fin des interdictions approche

Après plusieurs années de restrictions liées aux aides « cas de rigueur » COVID, de nombreuses entreprises suisses se trouvent à la fin de la période d’interdiction de distribution. Ce bulletin fait le point sur les règles applicables en matière de dividendes et autres versements aux actionnaires, et précise à partir de quand ces distributions peuvent légalement reprendre.

I. Introduction

Durant la pandémie de COVID-19, de nombreuses entreprises ont reçu des aides cantonales pour cas de rigueur (35'226 entreprises pour CHF 5,2 milliards de francs de soutien). Au titre de l’octroi de ces aides, certaines restrictions ont été imposées, dont la distribution de dividendes et autres prestations en faveur des propriétaires des entreprises durant une certaine période.

Pour une part importante de ces entreprises suisses, la période de blocage liée aux contributions non remboursables est arrivée ou arrive actuellement à son terme. Or, la règle d’interdiction des distributions a évolué au fil des versions des différentes ordonnances et a parfois été appliquée de manière hétérogène, ce qui laisse subsister des incertitudes pratiques :

  • à partir de quelle date peut-on décider de et verser un dividende ?
  • sur la base de quels comptes ? et
  • si l’interdiction s’applique encore, quelles options s’offrent aux organes pour financer leurs besoins sans contrevenir au droit ?

Le présent bulletin propose une réponse opérationnelle à ces questions, en s’appuyant sur les textes légaux et leurs commentaires officiels ainsi que sur l’expérience pratique de ses auteurs, notamment obtenue dans le cadre d’échanges avec le SECO ainsi que les autorités cantonales.

Ce bulletin s’adresse ainsi aux sociétés ayant bénéficié de contributions non remboursables entre 2020 et 2022, confrontées à des problématiques analogues de gouvernance des flux. Le lecteur y trouvera une synthèse claire des interdictions de distribution applicables (dividendes, tantièmes, remboursements d’apports, prêts aux « propriétaires »), une cartographie des variantes issues des différentes versions de l’OMCR et des pistes concrètes d’action lorsque la distribution demeure impossible.

II. Cadre légal

Le régime applicable aux dividendes des entreprises ayant bénéficié d’aides « cas de rigueur » a d’abord reposé sur la loi COVID-19 (RS. 818.102) et son art. 12, qui fixait la base de participation de la Confédération aux programmes cantonaux, puis sur deux ordonnances distinctes : l’Ordonnance concernant les mesures pour les cas de rigueur destinées aux entreprises en lien avec l’épidémie de COVID-19 (l’OMCR 20) (RS. 951.262) pour les pertes de 2020 à 2021, et l’Ordonnance concernant les mesures pour les cas de rigueur destinées aux entreprises en lien avec l’épidémie de COVID-19 en 2022 (l’OMCR 22) (RS. 951.264) pour la période courant dès le 1er janvier 2022.

Le cœur normatif de notre sujet, soit la limitation des distributions, se trouve, concernant l’OMCR 20, à l’art. 6 OMCR 20 et, pour l’OMCR 2022, à l’art. 3 OMCR 22. Dans les deux régimes, l’entreprise ne peut pas utiliser ses ressources pour décider ni distribuer de dividendes ou tantièmes durant une certaine période. Le texte vise également le remboursement d’apports, certains transferts intragroupes et les prêts aux « propriétaires », sous réserve de certaines exceptions.

III. Interdiction de versements

A. Dividendes et autres prestations

Au sens de la dernière version de l’OMCR 22, le régime des cas de rigueur interdit certaines sorties de valeur pendant l’exercice au cours duquel l’aide est octroyée et durant les trois exercices suivants, ou jusqu’au remboursement intégral de l’aide. Cette interdiction ne vise pas seulement l’exécution matérielle d’un paiement : la décision même de distribuer (p. ex. par l’assemblée générale) tombe sous le coup de la règle. Elle s’applique du seul fait que l’entreprise a reçu une aide et il n’est ainsi pas nécessaire d’établir que ces ressources financent effectivement le versement envisagé.

L’interdiction concerne les distributions au sens large. En vertu de l’art. 6 let. a OMCR 20 (supprimé depuis), repris par l’art. 3 al. 1 let. a OMCR 22, l’entreprise qui a bénéficié d’une contribution non remboursable ne peut ni décider ni distribuer de dividendes ou de tantièmes ou encore de remboursements d’apports de capitaux, ni octroyer des prêts à ses propriétaires.

Ainsi, au-delà des dividendes stricto sensu sont visés les avantages transférant de la valeur aux détenteurs de capital ou aux personnes qui leur sont liées, y compris via des décisions d’affectation des bénéfices ou des mouvements de capitaux qui, dans leur économie générale, reviennent à une distribution. Dans ce cadre, le remboursement d’apports en capital est expressément prohibé durant la période, au même titre que les tantièmes. Les commentaires OMCR 22 le rappellent en toutes lettres et rattachent cette interdiction à la finalité macroéconomique des aides qui ont pour but de préserver la liquidité dans l’entreprise et l’emploi en Suisse, plutôt que de permettre une sortie de valeur au profit des actionnaires et autres bénéficiaires économiques.

B. Période de blocage

Le point de départ du délai est la date d’octroi au sens de l’OMCR, c’est-à-dire la décision cantonale accordant l’aide, et non la date de versement effectif. Nos échanges pratiques avec le SECO le confirment explicitement. Par ailleurs, une décision de distribution prise pendant la période (p. ex. par l’assemblée générale) constitue déjà une violation de la restriction d’utilisation.

Sur la durée, deux régimes doivent être distingués. Pour les aides octroyées en 2022, l’OMCR 22 interdit de décider ou de distribuer des dividendes pendant l’exercice d’allocation et les trois années suivantes (ainsi, pour une contribution effectuée sur l’exercice 2022 : 2022–2025, 2025 compris), ou jusqu’au remboursement intégral de l’aide, ce qui est rarement une solution satisfaisante.

Pour les aides octroyées sous l’OMCR 20, la règle « exercice d’octroi plus trois exercices » s’applique aux entreprises qui se sont vu octroyer des contributions dès le 1er avril 2021, conformément à la disposition transitoire (art. 22a) introduite le 31 mars 2021.

Les versions antérieures d’OMCR 20 ont toutefois varié : la version du 14 janvier 2021 parlait d’un blocage de trois ans, tandis que les versions des 1er et 19 décembre 2020 prévoyaient un blocage de cinq ans. S’il est dès lors clair que pour un octroi unique d’une contribution à une date précise, le délai de blocage de l’ordonnance correspondante s’applique, qu’en est-il dans les cas d’octrois successifs d’aides ?

Ainsi, en présence de tranches multiples, le SECO nous a confirmé, selon des échanges ayant eu lieu dans des cas pratiques que, l’argent étant fongible, il n’est pas matériellement possible de gérer des délais parallèles par tranche : les restrictions s’appliquent selon la dernière demande, de sorte que la période de blocage se calcule en référence au dernier octroi pour l’ensemble des aides.

 

À ce titre, un tableau récapitulatif du délai de blocage nous semble de mise :

 

Date d’octroi

Délai de blocage retenu

Dernier octroi dès le 1er avril 2021

Interdiction pour l’exercice en cours plus les trois exercices suivants

Dernier octroi entre le 14 janvier et le 31 mars 2021

Interdiction pendant trois ans dès la date d’octroi

Dernier octroi entre le 1er décembre et le 13 janvier 2021

Interdiction pendant cinq ans dès la date d’octroi

 

C. Date de reprise et période de référence

À l’issue du délai de blocage, l’OMCR n’érige pas une exigence claire quant à « l’exercice des comptes » sur lequel devrait reposer la distribution après la période de blocage. Les textes et leurs commentaires fixent uniquement une sorte de black-out temporel selon lequel il est interdit de décider et de distribuer des dividendes/tantièmes, d’exécuter des remboursements d’apports, etc. durant une certaine période. À l’issue de cette période, l’interdiction tombe. À notre avis, le texte de l’OMCR ne prévoit pas que les distributions – post période de blocage – se fondent sur des comptes postérieurs à la fin de la période de blocage. Autrement dit, la condition matérielle posée par l’OMCR porte sur la date de la décision et du versement, non sur la date de clôture des comptes utilisés à l’appui de la décision (sous réserve du respect du droit des sociétés).

Cette lecture s’appuie d’abord sur le texte et la systématique. Les commentaires officiels de l’OMCR 22 reprennent la formule selon laquelle pendant l’exercice au cours duquel l’aide est allouée et les trois exercices qui suivent (p. ex. exercices 2021 à 2024 pour une contribution en avril 2021), les entreprises ne doivent pas utiliser les fonds « pour décider, ni distribuer » des dividendes/tantièmes. La règle vise donc les actes (décision et distribution) posés pendant la période. Elle ne contient aucune règle positive encadrant la manière de reprendre les distributions après la période.

Ensuite, selon la pratique du SECO et des autorités cantonales, le blocage débute à la décision d’octroi (décision cantonale), même si cette décision porte sur une situation économique datant du précédent exercice (ce qui est logique). Le même raisonnement doit ainsi être appliqué pour la fin du blocage. La date des comptes n’est pas pertinente, c’est bien la date de la décision de distribution qui compte.

Cette affirmation nous parait cohérente pour les raisons suivantes :

Argument économique. Une exigence de comptes post-blocage se heurterait à une incohérence économique majeure. Les bénéfices se forment au fil de chaque exercice, y compris durant la période de blocage, sans que les textes légaux ni leurs commentaires ne prohibent leur constitution ni leur mise en réserve. Imposer qu'une distribution décidée au 1er janvier 2025 demeure interdite, alors qu'elle deviendrait licite dès lors qu'elle repose sur des comptes arrêtés quelques mois ou jours plus tard (p. ex. au 31 mars 2026), reviendrait à prolonger artificiellement le blocage au-delà de son terme légal, sans justification au regard de l'objectif poursuivi. Cette lecture poussée à son paroxysme conduirait en outre à la conclusion absurde que tous les bénéfices réalisés pendant les exercices soumis à restriction ne pourraient jamais être distribués. Cette incohérence milite en faveur d'une interprétation centrée sur la seule temporalité de la décision et de l'acte de distribution, conformément à la finalité de l'OMCR qui vise à préserver la liquidité durant une période déterminée, et non à imposer une interdiction perpétuelle ou indirecte sur les bénéfices accumulés. Nous soulignons aussi qu’un prêt à l’actionnaire serait permis après la fin du délai de blocage mais non une distribution fondée sur les comptes de l’exercice précédent, ce qui ne fait finalement aucun sens, puisque la finalité est bien la même.

Argument textuel. Les verbes employés (« ne pas utiliser les fonds pour décider, ni distribuer ») désignent l’interdiction d’agir pendant la période. Le législateur n’a pas ajouté, après cette période, une condition tenant à la période de référence des comptes, or on ne saurait ajouter une condition que le texte n’énonce pas.

Argument téléologique. La finalité est de retenir les liquidités dans l’entreprise durant un laps de temps critique afin de préserver l’existence de l’entreprise et l’emploi. Une fois ce laps expiré (ou l’aide remboursée), un sursis supplémentaire fondé sur la date des comptes (p. ex. exiger des « comptes 2025 ») n’ajoute rien à l’objectif de politique économique poursuivi. Au contraire, il créerait des délais arbitraires et des coûts inutiles (états financiers intermédiaires), sans justification dans le but de la norme.

Argument de cohérence systématique. L’OMCR 20/22 a une densité normative importante. Lorsque le texte méritait des précisions, cela a été fait (p. ex. la définition de l’année de référence en présence de problèmes transitoires, ou l’exception pour obligations contractuelles préexistantes). L’absence de règle concernant les comptes de distribution signifie que le législateur n’a pas voulu de cette exigence supplémentaire, qui n’aurait d’ailleurs fait aucun sens économique comme vu plus haut.

Nous retenons donc que, pour une aide octroyée en 2021 à une société dont l’exercice comptable se finit au 31.12, la société peut dès le 1er janvier 2025 (ou, plus exactement, dès le premier jour suivant l’échéance du blocage) décider et verser un dividende au regard de l’OMCR, sans devoir attendre l’établissement de « comptes 2025 ». Cette position reflète notre interprétation des textes et commentaires, cohérente avec la pratique du SECO, et nous paraît juridiquement plus proportionnée et prévisible que l’alternative qui imposerait un décalage artificiel fondé sur la date des comptes. Dans ce contexte, nous ne pouvons pas suivre la position de certaines administrations cantonales, qui souhaiteraient imposer des exigences additionnelles aux distributions. Cette position est contraire au texte clair de la loi et à sa finalité économique. et

Finalement, dans la mesure où l’interdiction concerne des exercices comptables selon les dernières versions des OMCR, une société dont les exercices se terminent au 30.06 (ou autre) doit voir ses périodes de blocages être traitées en conséquence. L’impact est bien entendu moindre dans les cas où le dernier octroi d’aides a été effectué sous l’empire d’une ordonnance prévoyant un délai de blocage en années.

IV. Obligations durant l’interdiction

Lorsque la période de blocage n’est pas encore échue, les remontées de flux sont très limitées sous réserve bien évidemment d’un remboursement de l’aide.

Une première possibilité concerne si les paiements  fondes sur des obligations contractuelles préexistantes et exigibles nécessaires au maintien de l’exploitation (intérêts ordinaires et amortissements). Ces paiements doivent s’ancrer dans un engagement antérieur à l’octroi. L’identification de la « relation préexistante » doit toutefois se faire au niveau de l’entité bénéficiaire de l’aide.

Une seconde possibilité concerne des restructurations ciblées (p. ex. fusions internes selon excursus ci-dessous). Ces restructurations peuvent être envisagées, par analogie avec le régime des prêts COVID, dans la mesure où ces opérations ne sont pas expressément interdites et ne contredisent pas la finalité économique des aides.

Chaque cas de remontée de flux pendant la période de blocage doit faire l’objet d’un examen approfondi.

V. Excursus : Remontée par fusion

À notre avis, une fusion au sens de la LFus (p. ex. fusion simplifiée « ascendante » d’une filiale bénéficiaire d’une contribution non-remboursable dans sa société mère) n’équivaut pas à un versement de dividende ni à un autre type de prestation appréciable en argent au profit des propriétaires, laquelle serait interdite pendant la période de blocage.

D’une part, le texte des régimes des aides cible spécifiquement la décision et la distribution de dividendes/tantièmes, le remboursement d’apports, certains prêts aux « propriétaires », ainsi que le transfert vers une société du groupe à l’étranger. Il ne vise pas en tant que telles les réorganisations intra-suisses ni les transferts structurels opérés par succession universelle. Les commentaires officiels de l’OMCR réaffirment cette logique d’interdiction fonctionnelle sans instaurer d’interdit autonome sur les fusions.

D’autre part, par analogie avec le régime des prêts COVID (LCaS-COVID-19), le législateur a expressément prévu que les transferts dans le cadre d’une restructuration au sens de la LFus demeurent admissibles (art. 2 al. 6, 2ᵉ phrase). Permettre des réorganisations suisses doit également être licite pour une société ayant bénéficié de contributions non-remboursables dans la mesure où elle n’opère aucune sortie de valeur vers les ayants droit économiques et que les engagements liés aux aides (y c. le blocage) sont repris automatiquement par la société reprenante.

VI. Conclusion

En synthèse, l’interdiction instituée par les régimes « cas de rigueur » vise la décision et la distribution pendant un laps de temps strict déterminé par la date du dernier octroi d’aides. À l’issue de ce délai, et sous réserve des exigences ordinaires du droit des sociétés, la décision et le versement de dividendes redeviennent possibles sans condition supplémentaire quant à l’« exercice des comptes ». Cette position nous paraît être la seule compatible avec le texte de loi et la finalité économique des restrictions. Pendant la période de blocage, les possibilités de remontées de flux sont très limitées et doivent faire l’objet d’un examen approfondi au cas par cas.

Pour toute question ou situation spécifique (chronologie d’octrois, calcul de la date de reprise, documentation des flux intragroupe, demande auprès des autorités compétentes), nous sommes à votre disposition.

Si vous avez des questions en lien avec ce bulletin, merci de contacter :