Les professionnels de santé et le droit du travail
19.06.2025

Spécificités dans le secteur privé
I. Introduction
Historiquement, la profession médicale s’est exercée principalement à titre indépendant, dans le cadre d’une activité libérale. Toutefois, on observe une évolution significative avec l’augmentation du nombre de médecins salariés.
Ces derniers peuvent être employés soit par leur propre société anonyme — où les règles du droit du travail ne trouvent en principe pas application — soit par des centres médicaux ou d’autres médecins, auquel cas ils sont soumis aux règles du droit du travail. Ce bulletin ne s’applique toutefois pas aux médecins employés par une institution publique.
L’aménagement des rapports de travail des médecins employés dans le domaine privé nécessite une attention particulière sur les aspects fondamentaux suivants, qui seront traités dans le présent bulletin:
1. le salaire afférent aux vacances ;
2. les heures supplémentaires ;
3. la clause de non-concurrence.
II. Modes de rémunération
Le droit du travail permet une certaine liberté dans la fixation du salaire et de son mode de paiement. Le salaire peut notamment être versé sous forme de rémunération forfaitaire, à la tâche, à la pièce ou à la provision (art. 322 à 322c CO).
Les parties au contrat de travail se mettront souvent d’accord pour une rémunération à l’acte, prévoyant ainsi la rétrocession à l’employé d’une partie de la facturation. Ce système permet de maximiser les revenus de l’employé et inciter ce dernier à travailler davantage.
La rémunération à l’acte s’apparente à une rémunération à la provision au sens des articles 322b et 322c CO. Aujourd’hui, la rémunération à la provision s’étend également dans les domaines non commerciaux, notamment chez les médecins.
La provision se définit comme une participation de l’employé au bénéfice des affaires qu’il a conclues. Cependant, au sens de l’art. 349a al. 2 CO, applicable au contrat d’engagement des voyageurs de commerce, un accord écrit prévoyant que le salaire consiste exclusivement ou principalement en une provision n’est valable que si cette dernière constitue une rémunération convenable. Selon la jurisprudence et la doctrine, cette disposition est applicable par analogie à tous les travailleurs payés principalement par provision et non uniquement aux voyageurs de commerce. Cette disposition a pour but de faire supporter le risque économique à l’employeur, et non à l’employé.
Dans le domaine de la santé, lorsque le salaire est fixé principalement ou exclusivement en fonction du chiffre d’affaires (rétrocession d’honoraires), l’employeur doit ainsi veiller à ce que la rémunération reste « convenable ».
Le Tribunal fédéral considère qu’une rémunération est convenable si elle permet de vivre décemment, compte tenu de l’engagement, de la formation, de l’âge, des années de service, des obligations sociales et des usages de la branche.
Ainsi, la protection de l’art. 349a al. 2 CO ne vise pas à garantir au travailleur une rémunération minimum indépendamment de ses prestations mais à lui assurer une rémunération convenable en fonction du travail fournit. Si le travailleur perçoit un salaire trop faible en raison de prestations de travail insuffisantes, le travailleur ne peut pas se prévaloir de la protection de l’art. 349a al. 2 CO.
Afin de limiter les risques liés à une rémunération insuffisante, il est recommandé que l’employeur :
- prévoie un engagement contractuel à un nombre minimal d’heures de travail hebdomadaires ;
- exige que l’employé l’avertisse immédiatement s’il ne peut fournir les prestations convenues sans faute de sa part ;
- documente rigoureusement les heures effectuées par les médecins salariés.
En pratique, il est également conseillé d’augmenter la part fixe du salaire et de diminuer la part variable liée au chiffre d’affaires, afin d’assurer une stabilité salariale et de limiter les contestations.
Selon l’art. 323 al. 1 CO, le salaire doit être payé à la fin de chaque mois. Il est donc important que les modalités de rémunération soient compatibles avec cette exigence légale, indépendamment des délais de facturation ou d’encaissement des honoraires par l’employeur.
Au vu de ce qui précède, il appartient à l’employeur de garantir au médecin salarié une rémunération compatible avec les standards de la branche et de son niveau d’activité, tout en documentant de manière claire la charge de travail attendue et réalisée.
Ces précautions sont d’autant plus importantes dans les professions médicales car le pouvoir d’instruction de l’employeur envers un médecin salarié est limité.
Selon l’art. 5 du Code de déontologie FMH, le médecin est libre d’accepter ou de refuser un mandat diagnostic ou thérapeutique, sous réserve des cas où le médecin est mandaté par un tiers.
Dans le cadre de relations de travail, le médecin ne peut en principe refuser la prise en charge des patients de la société. En revanche, le professionnel de santé est lié par un code de déontologie et son activité est régie par la loi, ce qui laisse moins de place aux directives de l’employeur.
Par ailleurs, le Tribunal fédéral rappel dans un arrêt récent que la qualification du contrat en tant que contrat de travail dépend avant tout de la volonté subjective des parties. Si les parties ont uniquement la volonté de faciliter la facturation des prestations médicales et que le médecin peut décider de manière autonome de l’ampleur de son activité, l’existence d’un contrat de travail n’est pas présumée. Cela vaut même si le contrat est intitulé « contrat de travail », le juge n’étant pas lié par les dénominations choisies par les parties.
Si le contrat n’est pas qualifié de contrat de travail, les considérations sur la rémunération convenable ne trouvent pas application.
III. Paiement des vacances
Le paiement du salaire afférent aux vacances représente une difficulté récurrente pour les employeurs, en particulier lorsque le salarié perçoit une rémunération variable, par exemple à la provision.
Selon l’art. 329d CO, l’employeur doit verser au travailleur, durant ses vacances, l'intégralité du salaire qui aurait été perçu s’il avait travaillé, y compris les éventuelles prestations en nature. En principe, ce paiement doit être effectué au moment où les vacances sont effectivement prises.
Il est exceptionnellement admis que l’indemnité de vacances soit incluse dans le salaire global, sous réserve de trois conditions cumulatives :
1. L’occupation du salarié doit être très irrégulière ;
2. La part du salaire afférente aux vacances doit être clairement et expressément mentionnée dans le contrat de travail ;
3. L’indemnité de vacances doit figurer de manière distincte sur chaque fiche de salaire.
La jurisprudence récente du Tribunal fédéral a toutefois restreint cette exception en cas d’emploi à plein temps auprès du même employeur. En particulier, même en cas de rémunération variable ou d’activité apparemment irrégulière, les employés à temps plein doivent recevoir leur salaire de vacances au moment de la prise des vacances. Le Tribunal fédéral a notamment nié l’existence d’une activité irrégulière dans le cas d’une ostéopathe rémunérée à la provision, engagée à plein temps.
Selon la jurisprudence, le travailleur doit recevoir, pour la période de vacances dues, autant que ce qu’il aurait obtenu s’il avait travaillé pendant cette période. Si le travailleur est payé exclusivement à la commission, deux méthodes sont possibles : (i) verser au salarié l’équivalent des commissions qu’il aurait effectivement perçues s’il avait travaillé ou (ii) verser au salarié un pourcentage du revenu réalisé durant une certaine période de référence. La jurisprudence préconise la seconde méthode, appelée méthode forfaitaire.
Ainsi, en cas de travail irrégulier à temps partiel, il est primordial pour les employeurs d’indiquer clairement dans le contrat de travail et sur les fiches de salaire la part du salaire afférent aux vacances. Si le travail est irrégulier mais à plein temps auprès du même employeur, l’inclusion du salaire afférant aux vacances dans le salaire est exclue.
IV. Compensation des heures et du travail supplémentaires
Les heures supplémentaires sont définies comme les heures effectuées en sus de l’horaire contractuel. Le travail supplémentaire se définit lui comme le travail dont la durée excède le maximum légal de la branche d’activité (art. 12 cum 9 LTr). Les professions de la santé sous soumises à une durée maximale de travail de 50 heures par semaine (art. 9 al. 1 let. b LTr).
Le travail supplémentaire est rémunéré par une majoration de 25% par heure au moins à partir de la 61ème heure de travail supplémentaire ou par un congé de même durée (art. 13 LTr).
Selon la jurisprudence de la Cour civile de Genève, dans les entreprises où les employés ont une certaine liberté dans l’organisation de leur horaire de travail à l’intérieur de certaines plages horaires bloquées, le travailleur doit spontanément compenser les heures effectuées en trop par un congé. Il lui appartient de faire en sorte que l’excédent d’heures puisse être facilement compensé par la prise de congés.
Une indemnisation pécuniaire du travail effectué en plus n’entre en considération que si les besoins de l’entreprise ou des directives de l’employeur empêchent le travailleur de récupérer ses heures en dehors des plages bloquées, à l’intérieur de l'horaire de travail flexible ; il ne s'agit alors plus de solde positif dans l'horaire flexible, mais de véritables heures supplémentaires.
Ainsi, les professionnels de santé bénéficiant d’horaires flexibles devront spontanément compenser les heures supplémentaires effectuées lorsque cela est possible. Cette solution permet à l’employeur d’exiger des professionnels de santé employés d’organiser leur temps de travail de manière adéquate et de limiter la rémunération des heures supplémentaires.
V. Obligations de non-concurrence
L'application de clauses de non-concurrence aux professionnels de la santé nécessite une distinction fondamentale selon le type de contrat :
- En cas de contrat de mandat, une clause de non-concurrence peut librement être convenue, y compris avec un médecin, tant qu’elle n’est pas excessive et ne contrevient pas à l’ordre public ou à la déontologie professionnelle.
- En cas de contrat de travail, les règles du droit du travail s’appliquent, et la clause de non-concurrence est soumise à l’art. 340 ss CO. Dans ce cadre, les possibilités sont beaucoup plus limitées.
En effet, pour les médecins salariés, la jurisprudence considère que si la relation avec la patientèle repose essentiellement sur leurs compétences personnelles de l’employé, le lien de causalité entre la connaissance de la clientèle et le préjudice subi par l’employé est rompu.
Par conséquent, une clause de non-concurrence n’est applicable que de manière très restreinte, voire exclue.
Cette limitation repose également sur la liberté de choix du patient, principe fondamental du droit de la santé. Un médecin ne peut donc généralement pas se voir interdire de soigner des patients dans la même région après avoir quitté son employeur, même s’il a signé une clause en ce sens.
Les employeurs doivent donc être prudents dans la rédaction de telles clauses et ne peuvent pas se fonder uniquement sur leur usage dans d’autres secteurs économiques.
Cette limitation ne s’applique cependant qu’aux professionnels de la santé de première ligne, lesquels ont un rapport de confiance avec la patientèle, ce qui n’est pas le cas des professions de seconde ligne, comme par exemple les pathologues.